Soigner son anorexie : un chemin vers la reconstruction
- Jean-François Leca

- 25 sept.
- 11 min de lecture

Les Troubles des Conduites Alimentaires (TCA) touchent 1 à 3 % de la population en France. Parmi eux, l’anorexie mentale reste l’un des plus complexes et dangereux.
1. Comprendre l’anorexie : un trouble, pas une identité
Définir l’anorexie mentale (restriction, peur de grossir, déni du poids réel)
L’anorexie mentale est un trouble caractérisé par des restrictions alimentaires, parfois accompagnées de vomissements ou d’hyperactivité. Une peur intense de grossir et une altération de l’image corporelle pouvant s’apparenter à une addiction à la maigreur. Le poids et la forme du corps deviennent centraux, au détriment de l’estime de soi.
J’ai souvent ce type de phrase de patientes en situation d’anorexie : « je perds du poids et plus je vois le chiffre diminuer plus je veux qu’il baisse, j’en veux toujours plus je ne suis jamais satisfaite ».
D’un point de vue clinique, on parle d’anorexie mentale en cas d’IMC < 18,5 chez l’adulte ou < 5e percentile pour les mineurs.
Mais l’anorexie est bien plus qu’une volonté de maigrir : c’est un trouble multidimensionnel qui puise ses racines dans des facteurs psychologiques, génétiques, sociaux, voire traumatiques.
Souvent, tout part d’une insatisfaction et d’une problématique d’estime de soi. Un besoin de se contrôler (notamment via l’alimentation), et d’un sentiment de réussite ou de bien-être temporaire qui pousse à aller toujours plus loin.

Déstigmatiser : ce n’est ni un caprice ni une simple question de volonté
L’anorexie n’est pas un caprice, ni un choix, ni un simple manque de volonté.Elle survient sur un terrain de vulnérabilité : faible estime de soi, perfectionnisme et besoin de contrôle, hypersensibilité émotionnelle, antécédents familiaux ou traumatiques.
Les personnes les plus touchées sont :
Les femmes (10 à 15 fois plus que les hommes),
Les jeunes (entre 12 et 25 ans),
Les profils perfectionnistes, sportifs (plus particulièrement à catégorie de poids), artistes, ou en recherche de performance et de validation.
On constate des causes croisées :
Société de la minceur et pression esthétique ( attention aux réseaux sociaux...)
Transmission de règles alimentaires rigides,
Traits de personnalité : anxiété, conformisme, inhibition, faible tolérance à l'incertitude,
Histoire personnelle : dépression, TCA chez un proche, abus, abandon, harcèlement, etc...
Chez les adolescentes, les premiers régimes commencent souvent dès 12-13 ans. L’anorexie mentale, elle, s’installe en moyenne vers 15-16 ans.
On peut observer comme une addiction à la minceur plus qu'une peur de grossir la plupart du temps.
cela débute quasiment toujours par une restriction cognitive qui s'amplifie plus ou moins rapidement :
Intention de contrôler ses apports caloriques en s’imposant un ensemble d’obligations et d’interdictions alimentaires dans le but de maigrir ou de ne pas grossir. Cela revient à attribuer une valence émotionnelle aux aliments sur la base de règles intellectuelles et non plus physiologiques.
Souligner l’impact physique et psychologique (cerveau, cœur, sociabilité, cognition)
Plus le poids diminue et la dénutrition s’accentue, plus le cerveau et le corps ralentissent afin de préserver les fonctions vitales.
L’accélération de la perte de poids et de la dénutrition corporelle et énergétiques fait flamber la maladie.
L’anorexie impose des pensées linéaires et angoissantes du type : « Si je reprends 2 kg par mois, ça fait 24 kg en un an… je vais devenir obèse. »
Le corps est mis de côté. Le chiffre devient l’unique boussole.
Le patient se déconnecte de ses sensations corporelles et s’enferme dans une logique de contrôle.
2. Quand et pourquoi demander de l’aide ?
Symptômes d'alerte
Certains signes doivent alerter l’entourage, même si la personne malade les minimise :
Perte de poids importante,
Obsession autour de la nourriture, des calories, des rituels alimentaires,
Isolement social, tristesse, désintérêt pour les activités habituelles,
Déni de l’état de santé, fatigue chronique,
Troubles du sommeil, irritabilité, sautes d’humeur.
La maladie s’installe souvent de façon insidieuse. Le corps s’adapte, le discours se veut rassurant, mais l’anorexie progresse en silence.
C’est pourquoi l’entourage a un rôle essentiel : repérer les signaux faibles, et oser en parler, sans juger. La prise de conscience ne peut venir que si un espace d’écoute existe.
Oser parler
Témoignage : "J’ai longtemps cru que je contrôlais. Jusqu’au jour où je n’ai plus eu le choix. Mon corps ne suivait plus. Ma mémoire me faisait défaut. Je ne riais plus et m’éloignais de mes copines. Ce jour-là, j’ai accepté d’être accompagné."
Le premier pas vers la guérison, c’est souvent la parole : parler à un proche, un médecin, un professionnel de santé. Ce moment est fragile. Il faut que le patient soit accueilli sans jugement, surtout s’il exprime honte, peur ou ambivalence.
La guérison est souvent un long chemin (plusieurs mois à plusieurs années) qu’il est indispensable de se faire accompagner de professionnels formés et spécialisés dans la prise en charge de ce trouble.
Environ 50 à 60 % des patient(es) accèdent à une véritable rémission.
Environ 30% à 40% des patient(es) voient la maladie se chroniciser et la gardent à vie.
Environ 10% des patient(es) décèdent de ce trouble.
La famille est une ressource et doit être intégrée dans le parcours de soins. Elle n’est pas responsable, il est indispensable de la déculpabiliser pour qu’elle permette l’installation d’un cadre bienveillant autour de l'alimentation et des repas en particulier chez les adolescent(es).
3. Le parcours de soins : une prise en charge pluridisciplinaire
· Différentes options pour guérir
Il n'existe pas un seul traitement de l’anorexie mentale. La prise en charge est toujours personnalisée et peut combiner plusieurs modalités selon la gravité, l’âge, le vécu et l’environnement du patient.
Parmi les options :
Les soins ambulatoires pluridisciplinaire avec à minima un médecin ou un psychiatre, un psychologue et un diététicien.
L’hospitalisation de jour.
L’hospitalisation complète est recommandée quand l’IMC est < 14 kg/m2, en cas de perte de poids brutale, ou si le patient présente des signes de décompensation (troubles hydroélectrolytiques, malaises, bradycardie...).
· L’importance de l’approche pluridisciplinaire coordonnée
L’anorexie mentale affecte le corps, le mental et la vie sociale.C’est pourquoi le soin ne peut être un face-à-face entre un patient et un praticien : il faut une équipe qui communique et partage les informations.
À minima, elle doit réunir :
Un médecin traitant et/ou un psychiatre
Un diététicien-nutritionniste formé aux TCA,
Un psychologue
Des psychomotriciens, enseignants APA, des arts thérapeutes sont souvent très utiles et nécessaires.
Chaque professionnel a un rôle spécifique, et leur concertation est la clé d’un suivi efficace.
Le soin comme co-construction : pas imposé, mais négocié et adapté
Chaque patient est unique. Il ne s’agit ni de forcer, ni de laisser faire.Le soin doit être co-construit, en lien avec le patient, et ajusté régulièrement à ses progrès, ses blocages et sa réalité.
Cependant les soignants doivent avoir une posture thérapeutique où le soin est priorisé particulièrement lors de la phase de renutrition que j’appelle la phase de « réparation du corps ». La temporalité du soin est importante, elle doit permettre de faire reculer la maladie le plus rapidement possible.
4. La renutrition : une étape délicate mais cruciale
Sortir de la dénutrition sévère et de ses symptômes
La première phase du soin vise à sortir le patient de la dénutrition. Cela consiste à réparer le corps en le sortant du mode de survie dans lequel il est depuis plusieurs mois voire années.
Cette phase doit se faire sans écouter les sensations de faim, de satiété et de rassasiement. En effet les signaux corporels qui régulent normalement les prises alimentaires sont complètement dérégulés par la dénutrition et la maladie, cette phase ne peut donc pas se faire en se fiant à ceux-ci. C’est une raison supplémentaire d’installer une relation de confiance soignant-soigné car le patient doit souvent manger contre ses sensations en plus de toutes les peurs présentes (prise de poids, changement d’image corporelle).
L’enjeu principal de cette phase est d’augmenter les apports énergétiques du patient sans se focaliser sur la qualité nutritionnelle de ses apports.
Un outil clé est le carnet alimentaire qui permet au patient de noter chaque jour :
La faim ressentie et les envies de manger,
Le contenu de ses repas et prises alimentaires,
L’intensité des crises s’il y en a,
Les stratégies utilisées et la manière de répondre aux différentes sensations/envies (décalage faim-repas pris, comportements compensatoires, etc.).
Cet outil permet au soignant de comprendre le vécu alimentaire au-delà des réponses aux besoins énergétiques et des calories ingérées. Aussi le patient peut mieux repérer ses propres schémas.
Le diététicien spécialisé dans les TCA est le professionnel qui doit être au cœur de cette étape.
Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI) et sa prévention
Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI) est une complication potentiellement grave qui peut survenir lors de la reprise alimentaire chez les patients souffrant d’anorexie mentale en grande dénutrition et/ou une période de jeûne prolongé.
Il s’agit d’un ensemble de déséquilibres métaboliques qui apparaissent lors de la réalimentation après une période prolongée de dénutrition sévère.
Le SRI peut entraîner une altération du métabolisme et une insuffisance de la réponse métabolique face aux apports nutritionnels.
Quand le corps est en état de jeûne prolongé, les réserves en protéines, électrolytes et vitamines sont fortement réduites.Au moment de la reprise alimentaire, l’apport en glucose et nutriments stimule brutalement la sécrétion d’insuline, provoquant un transfert des électrolytes (phosphore, potassium, magnésium, calcium) du sang vers les cellules.
Résultat : les taux sanguins chutent, ce qui peut provoquer :
Des troubles cardiaques,
Des troubles neurologiques.
Pour éviter ce syndrome, la renutrition doit être :
Encadrée par une équipe médicale,
Progressive, adaptée au niveau de dénutrition,
Soutenue par un apport en vitamine B1 dès les premiers jours si nécessaire en fonction du bilan sanguin.
Un bilan médical complet est indispensable avant la renutrition pour évaluer les risques, surveiller les constantes biologiques, et ajuster l’apport énergétique au fil des jours.
Il est également important de poser des mots rassurants sur les symptômes transitoires lors de cette phase de renutrition.
La reprise alimentaire peut entraîner des inconforts physiques (ballonnements, nausées, fatigue) ou psychiques (culpabilité, peur de grossir).Ces réactions sont normales et temporaires.
À chaque étape, le diététicien explique et donne des repères : ce qui est dû à la maladie, ce qui est passager, ce qui est signe de progrès.
C’est ce cadre clair et bienveillant qui permet au patient de tenir, même dans les moments les plus difficiles qui sont inévitables et font partie du parcours de soins.
5. Reconstruire son corps et son rapport à l’alimentation
Revenir à une alimentation suffisante et régulière
Une fois les symptômes de la dénutrition sévère éloignés un travail de « rééducation » du comportement alimentaire peut alors commencer.
Le travail consiste à réintroduire progressivement une alimentation suffisante, régulière et structurée. On parle d’une alimentation « rationnelle ». C’est avoir à minima 3 repas et 1 ou 2 collations par jour, à des horaires réguliers, dans un cadre rassurant.
La cible est d’avoir des apports qui répondent aux besoins énergétique (nombre de calories) et nutritionnel (proportion de nutriments et micronutriments) de la personne.
Pour cela il est nécessaire de retrouver une certaine variété alimentaire et une flexibilité dans son comportement.
L’objectif est de réapprendre à manger sans peur.
A cette étape, lorsque les symptômes de la dénutrition ont quasiment disparu, on pourra aussi commencer à travailler sur les sensations alimentaires et une reconnexion avec le corps. Il peut alors être utile de faire appel à des psychomotriciens, des kinés, des enseignants APA. Tous ces professionnels de santé vont permettre un travail sur le rapport au corps et à l’image de soi qui est souvent précieux (voir indispensable) à l’éloignement des peurs et faciliter le travail du diététicien sur l’accès aux sensations de faim, satiété et rassasiement.
Psychoéducation : comprendre la régulation du poids
Les pensées dysfonctionnelles concernant l’alimentation, la gestion du poids sont au centre du trouble : « si je remange normalement, à ma faim, je vais reprendre du poids continuellement et devenir obèse... ». Cette phrase revient souvent en consultation.
Il est essentiel de remettre en question les croyances sur la prise de poids en les confrontant à la réalité :
“Est-ce que ceux qui ne souffrent pas de TCA pensent aussi comme ça ?”“Quelles conséquences ces pensées ont-elles sur ta liberté, ton bien-être, ta guérison ?”
On cherche à faire prendre conscience des distorsions cognitives : le patient ne voit pas son corps tel qu’il est, mais au travers de lunettes déformantes.
On confond souvent poids santé et poids idéal. Or, l’IMC est un simple indicateur statistique, qui ne reflète ni la masse musculaire, ni le bien-être physique ou psychique.
Le vrai poids de forme, c’est celui auquel le corps se stabilise naturellement, sans lutte ni restriction. Parfois, ce poids est au-dessus des “normes” sociales, mais conforme au bon fonctionnement du corps. Le rôle de l’équipe est d’aider le patient à le découvrir et à l’accepter.
Durant cette phase il sera utile d’apporter des éléments factuels sur le fonctionnement du corps humains et comment se passe la régulation alimentaire d’une personne ne souffrant pas de TCA.
Accepter le changement de silhouette, travailler l’image de soi
La psychothérapie joue un rôle essentiel pour :
Atténuer la culpabilité liée au poids ou à la nourriture,
Favoriser une image corporelle plus réaliste,
Travailler les relations sociales, les conflits, les émotions.
Elle peut être complétée par des outils comme :
La vidéothérapie, qui permet de mieux se voir et d’intégrer sa transformation,
La balnéothérapie, pour favoriser le lâcher-prise et l’acceptation du contact corporel,
La psychomotricité, ou d’autres médiations corporelles comme le yoga, qui reconnectent le patient à ses sensations dans un cadre non menaçant.
6. Vivre avec ses émotions et retrouver du sens
Explorer ses valeurs, donner du sens à la guérison
Dans l’approche ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement), on ne cherche pas à supprimer les pensées douloureuses ou les peurs. On cherche à reconnecter le patient à ce qui compte vraiment pour lui :
Ses valeurs,
Ses règles de vie et leurs adaptations (leur flexibilité),
Ce qui le motive pour élargir le champ des possibles de la focale poids/image du corps.
Guérir, ce n’est pas juste reprendre du poids. C’est retrouver un cap, une raison de vivre qui fait sens.
Apprendre à vivre avec les peurs (grossir, perdre le contrôle…)
La peur fait partie du processus.Ce n’est pas un signe d’échec, mais un signe de mouvement.
Pour guérir, il faut apprendre à :
Apprivoiser la peur du changement corporel,
La peur de manger « trop »,
La peur de ne plus se sentir « spéciale » ou « parfaite ».
C’est un travail progressif, qui demande d’accepter l’inconfort sans s’y soumettre.
L’anorexie isole. Le soin permet de :
Retisser des liens,
Apprendre à poser des mots sur ses besoins,
Gérer les conflits autrement que par le repli ou le contrôle.
Les émotions deviennent des repères, non plus des menaces.
L’enjeu final est là :
Pouvoir s’apprécier même imparfaitement,
Être digne d’amour sans conditions,
Exister sans devoir « mériter » sa place.
Se reconstruire avec bienveillance, patience et confiance
La guérison n’est ni linéaire, ni rapide.
Elle se fait pas à pas, parfois avec des rechutes, mais toujours avec la possibilité de recommencer autrement.
Chaque victoire compte :
Un repas pris sans peur,
Une sortie acceptée,
Un moment de joie retrouvé sans culpabilité.
C’est un chemin. Un chemin exigeant, mais possible.
7. Prévenir les rechutes
Le taux de rechute est important dans ce type de trouble en raison des multiples boucles d’entretien de la maladie et de ses ressorts pouvant réapparaître au gré des difficultés de la vie de tout un chacun.
Pour cette raison un suivi durant plusieurs années après la rémission est indispensable. Il peut se faire avec un diététicien spécialisé TCA et/ou un psychologue.
Afin de limiter ces risques de rechute dans le trouble, je guide les patients dans la construction d’un carnet anti-rechute qui consiste à réfléchir aux points ci-dessous et écrire un document que le patient pourra sortir et utiliser lorsque des signaux faibles du trouble apparaitront.
Accepter les hauts et les bas
La guérison n’est pas une ligne droite. Il y a des moments de doute, de fatigue, de retour en arrière et c’est normal. L’essentiel est de ne pas se juger, mais de comprendre ce que ces moments disent.
Repérer les signes de rechute
Ils sont propres à chaque patient et seront notés sur le carnet anti-rechute :
Les émotions intenses,
Les comportements de contrôle qui reviennent (culpabilité, évitement d’aliments qui reviennent)
Les situations à risque (repas de fête, invitation).
Cela permet d’agir avant que la spirale ne s’installe.
Consolider ses acquis : alimentation, émotions, vie sociale
Pour prévenir les rechutes, il faut :
Reconnaître les signaux d’alerte,
Renforcer les rituels positifs (repas, gestion émotionnelle, lien social),
Créer un projet de vie aligné avec ses envies profondes.
8. Conclusion
On ne guérit pas seul de l’anorexie mentale. Ce trouble est une véritable maladie, avec des causes profondes, et ce n’est en aucun cas une question de volonté ou de caractère. Vous n’en êtes pas responsable. Mais vous pouvez, avec l’aide de professionnels formés et spécialisés, vous engager dans un processus de guérison. Ce chemin demande du courage, de la patience et du soutien, mais il en vaut la peine.
Guérir, c’est possible. C’est retrouver une liberté, une sérénité, une vie qui a du sens. Vous méritez d’aller mieux, et vous n’êtes pas seul. De nombreuses personnes sont passées par là, et en sont sorties. Ce n’est pas un rêve inaccessible, c’est un cap atteignable, avec les bons repères et un accompagnement adapté.
Si vous avez besoin d’un avis professionnel et bienveillant ou juste d’être écouté, je peux vous aider si c’est le bon moment pour vous.





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